Les libertés des professionnels de santé et les droits des patients à la lumière de l’ordonnance du Conseil d’Etat 22 avril 2020 (2ème épisode)
Les premières décisions relatives à la contestation des dispositions prises par le décret n° 2020-293 du 25 mars 2020 ont été rendues et publiées (voir notamment : Conseil d’État, 22 avril 2020, 439951).
Pour mémoire, le décret dispose que la prescription de l‘hydroxychloroquine hors AMM est autorisée pour les patients atteints du COVID-19 mais seulement en établissement de santé ou, en ville, pour la poursuite d’un traitement initié en établissement de santé.
A contrario, la prescription initiale de l’hydroxychloroquine hors AMM en ville, pour des patients non aggravés, n’est pas formellement autorisée, c’est à dire qu’elle n’est pas couverte par le décret.
Elle n’est pas pour autant interdite par ledit décret. Le médecin la prescrirait alors en conscience dans les limites de son droit de prescription hors AMM, tiré de l’article L 5121-12-1 du Code de la santé publique.
Cependant, les pharmacies d’officine ne sont pas autorisées à délivrer l’hydroxychloroquine sur prescriptions autres que celles de émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin, c’est à dire uniquement pour les indications connues et validées dans le cadre de l’AMM du produit.
Dès lors, la prescription réalisée initialement en ville pour un patient atteint du COVID-19, par un médecin généraliste par exemple, ne pourrait recevoir dispensation…
(Voir notre article du 1er avril 2020 – 1er épisode : La liberté des professionnels de santé et le droit des patients à l’épreuve du décret du 25 mars 2020)
Ce décret, et c’est heureux, fait, à l’heure actuelle, l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Parallèlement, il a fait l’objet d’un recours en référé-suspension/injonction afin que ses effets soient suspendus et corrigés le temps de la procédure au fond et que tout médecin recouvre la plénitude effective de sa liberté de prescription ainsi que tout pharmacien, sa liberté de jugement et son indépendance dans ses choix de dispensation des spécialités prescrites.
C’est ce recours en référé-suspension qui a fait l’objet d’un rejet aux termes d’une ordonnance du Conseil d’Etat du 22 avril 2020.
Le Conseil d’Etat a en effet estimé qu’il n’existait pas d’illégalité manifeste, sans préjuger d’une illégalité qui le serait moins et qui sera jugée de façon plus lointaine.
Ce faisant, le Conseil d’Etat apporte également quelques précisions d’interprétation du décret en même temps qu’il soulève une question centrale qui devrait être largement débattue dans les futurs litiges qui ne manqueront pas de voir le jour.
1. Les précisions d’interprétation du décret n°2020-293 du 25 mars 2020
Aux termes de son ordonnance, le Conseil d’Etat indique s’agissant de la prescription/administration d’hydroxychloroquine à visée curative du COVID-19 :
« Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi non seulement le respect de précautions particulières mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque ».
Dans ce considérant, le Conseil d’Etat ne réserve pas cette administration aux seules suites d’un traitement initié en établissement de santé.
Il valide donc une interprétation du décret dans le sens de la liberté de prescription du médecin de Ville telle que décrite supra.
Dans le même temps, en rejetant le recours formé, le Conseil d’Etat laisse entière l’atteinte portée aux libertés du pharmacien et les difficultés d’effectivité d’une prescription d’hydroxychloroquine par un médecin de ville à un patient atteint du Coronavirus.
Le Conseil d’Etat constate en effet qu’ « une forte augmentation des ventes de Plaquenil en pharmacie d’officine a été enregistrée, faisant apparaître des tensions dans l’approvisionnement de certaines officines et des difficultés à se la procurer pour les patients ayant besoin de cette spécialité dans les indications de son autorisation de mise sur le marché ».
Pour la juridiction suprême de l’ordre administratif, cela justifie les dispositions prises par le Ministre de la Santé aux termes du décret querellé, visant cette fois-ci à interdire la délivrance par le pharmacien de toute prescription initiale d’hydroxychloroquine hors AMM, réalisée par un médecin de ville.
Ainsi est-il à ce jour avéré que l’hydroxychloroquine peut bien être prescrite et administrée hors AMM, à visée curative du SARS-COV-2 ou COVID-19, avec toutes les précautions qui s’imposent…mais ne peut être délivrée par le pharmacien, dans ce même cadre, ce qui frise la quadrature du cercle, notamment au regard des dispositions de l’article R 4127-21 du Code de la santé publique interdisant au médecin de délivrer lui-même des médicaments !
Alors ce n’est certes pas une interdiction de prescription à l’égard du médecin de ville mais il s’agit bien d’une impossibilité de fait posée par le décret et consacrée par le Conseil d’Etat.
2. La question essentielle des « données acquises de la Science »
Afin de justifier le rejet du recours formé contre le décret, le Conseil d’Etat indique que c’est « à défaut de » données acquises de la science » à la date à laquelle ont été prises les dispositions contestées, il n’apparaît pas que les moyens » soulevés « soient propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à leur légalité ».
Notion au cœur de l’exercice médical mais également de toute appréciation juridique de cet exercice, les données acquises de la science font leur apparition dans le débat.
Il est évidemment certain qu’elles n’en disparaîtront plus.
A la vue, non seulement du caractère nouveau de l’affection virale, mais également des études, essais, randomisés ou non, innovations, qui se suivent, se contredisent et se multiplient ; A la vue également de toute les annonces de mise en responsabilité de tous les maillons de la chaîne, c’est sans aucun doute à l’aune de ces très fameuses données acquises de la science que l’immense majorité du débat juridique va se cristalliser, dès lors qu’il intéressera le cadre de l’exercice médical ou l’exercice de la médecine.
A ce jour, concernant les données médicales de prise en charge du COVID-19, que peut-on considérer comme acquis ?
A cette question seule la communauté scientifique peut répondre et sa réponse impactera une très grande partie des litiges déjà en cours et à venir…
Afin toutefois, non seulement d’enrichir les débats mais également de les faire mieux correspondre à la réalité vécue, ne faudrait-il pas, qu’à côté de ce principe consacré strictement entendu, des notions, telle que la balance bénéfice potentiel/risque connu, puissent être justement considérées, à défaut de certitudes sur les données acquises de la science, relatives au traitement du COVID-19, à ce jour.
Ou bien encore, puisque lorsque les solutions judiciaires seront rendues une fois peut être les données de la science finalement acquises, pourrait-on envisager une généralisation d’une solution déjà dégagée par la Cour de Cassation au bénéfice d’un médecin qui a pu se prévaloir des données acquises de la science postérieures à sa prise en charge pour justifier sa stratégie thérapeutique et dégager sa responsabilité (Cass, Civ 1ère, 5 avril 2018, n° 17-15.620 ; Bull .civ. I n°65).
Il faudrait alors que les données acquises émises postérieurement à la date des faits puissent être valablement opposées indifféremment par tout praticien ou tout patient, voire toute personne afin de faire prospérer sa demande quelle qu’elle soit.